lundi 6 juin 2011

INTERVIEW AU CALAME

Chers compatriotes

Ci après l'interview que j'ai accordé au Calame parue le mardi 31 mai 2011 et qui clarifie nos rapports avec la majorité présidentielle et revient sur nos contributions pour le règlement du passif humanitaire.


Je lance un appel à tous les militants et sympathisants de l'AJD/MR pour une mobilisation optimale dans la perspective des prochaines élections municipales et législatives pévues en octobre 2011.

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Le Calame: Votre parti a intégré la Coordination de la Majorité Présidentielle (CMP), depuis quelques mois. Quel bilan faites-vous de ce ralliement? Etes-vous satisfait du mode de fonctionnement de la CMP?

Ibrahima Moctar Sarr
: En arrivant à la CPM, nous savions à quoi nous en tenir. Même si certains ne semblent, toujours pas, le comprendre, nous n’avons cessé de faire la différence, entre le président Mohamed Ould Abdel Aziz et la vingtaine de partis qui le soutiennent et qui ne peuvent pas être mis, tous, dans un même sac :

c’est tout un monde, des ultra-conservateurs du système hérité de Maaouya, aux réformateurs, partisans d’une transition, pacifique, vers un régime consensuel, plus démocratique, mieux à même de répondre aux véritables questions nationales, comme celles de la cohabitation, de l’esclavage, ou du partage du pouvoir politique et des richesses nationales.

Je dois vous dire, pour répondre à votre question, qu’une fois passés les premiers clashs, il y a des possibilités de meilleur avenir, il faut y croire. Nous sommes loin des objectifs que nous nous étions fixés mais nous sommes en train de mettre de l’ordre dans le fonctionnement de la machine et nous continuons à dire: INA WONA !

Nombre d’observateurs, surtout négro-mauritaniens, s’étonnent de votre soutien actuel à Mohamed Ould Abdel Aziz, après vos réticences à sa main tendue, au lendemain de son putsch. Est-il, aujourd’hui, disposé à satisfaire les conditions que vous aviez fixées, lors de votre première rencontre? Qu’est-ce qui a changé, entre temps, pour justifier votre départ de l’opposition?

L’AJD/MR, qui avait décliné l’offre de faire partie du dernier gouvernement du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, pour s’être vu refuser d’en discuter les conditions, avait demandé la même chose au président du HCE (Haut Conseil d’Etat). Vous vous souvenez du sort qui fut réservé aux 35 points de la plateforme que nous lui avions adressée, avec le RFD, le HATEM et le MDD. Nous avons, toujours, subordonné notre participation à un gouvernement, à la discussion des conditions de cette participation. Il faudrait, également, nuancer, entre une participation, active, à la gestion d’un pouvoir et le soutien, tacite, qu’on peut apporter à ce pouvoir. Dès le changement intervenu, le 6 août 2008, l’AJD/MR en a pris acte. Après plusieurs rencontres avec le général Ould Abdel Aziz et une fois appréciées les premières mesures prises, par la transition militaire, pour l’unité nationale, la lutte contre la gabegie et le gaspillage, nous l’avons soutenu, tout en attendant de pouvoir l’accompagner concrètement, après discussions sur certains aspects de son programme.

Ce qui a motivé notre adhésion à la majorité, c’est que celle-ci a accepté de prendre en charge les sept points que nous avions proposés, un accord largement diffusé. C’est, également, ce que nous avons écrit, dans un document intitulé «ce qu’en pense l’AJD/MR», publié le 26 janvier 2010, où nous décrivions un président décidé, avec pragmatisme, à se libérer du système qui l’a enfanté. Il avait besoin d’être soutenu par les forces de progrès, face aux nostalgiques du système, qui tiennent à préserver leurs acquis, vaille que vaille.

Quelque temps après l’intégration de l’AJD à la CMP, le président de la République vous a demandé de vous impliquer dans la gestion du «passif humanitaire». Peut-on savoir si vous avez, déjà, pris contact avec le colonel Dia Adama, chargé dudit dossier à la Présidence? Si oui, où en est celui-ci, aujourd’hui?

Comme vous le savez, une commission nationale a été mise sur pied, pour recenser tous les fonctionnaires victimes des événements de 89-91. Elle a terminé ses travaux et a dû déposer son rapport. Je crois savoir, aussi, que, du côté de l’armée et des forces de sécurité, le même travail a été effectué, par les états-majors concernés. Il restait une frange, importante, des victimes du régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya qui n’avaient pas été prise en compte, Il s’agit de ceux de la période allant de 1986 à maintenant. J’ai été chargé, par le chef de l’Etat, d’en dresser une liste exhaustive, aux côtés du colonel Dia Adama, chef d’état-major particulier du président de la République, et de proposer des solutions, pour l’apurement de ce dossier. La commission que nous avons mise sur pied est au travail et sollicite l’aide de tout un chacun, pour l’identification, complète, des intéressés, en vue de la régularisation de leur situation.

Quelle évaluation faites-vous des premiers pas franchis, vers le règlement du dossier: prière aux morts et indemnisations des ayant-droits, dont la gestion a suscité des grincements des dents?

La situation politique de notre pays est complexe. Le chemin, vers une démocratie véritable, sera long et parsemé d’embûches. Notre communauté est divisée en tribus et ethnies, nous vivons, encore, un système esclavagiste et ségrégationniste. Les différents schémas proposés, par la classe politique et, même, les régimes militaires qui se sont succédé au pouvoir, n’ont pas donné satisfaction; celui de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya a aggravé la situation, à tout point de vue, jusqu'à saper les fondements mêmes de la Nation. L’opposition, rattrapée par cette question nationale, n’a pas pu ou su jouer le rôle qu’on attendait d’elle. Cependant, le consensus national sera, nécessairement, dicté par l’évolution des mentalités, face aux risques d’éclatement, à Dieu ne plaise, où personne n’aurait rien à gagner. C’est ce que le président Ould Abdel Aziz a compris. Mais il ne confond pas vitesse et précipitation, surtout en ce qui concerne ces questions sensibles. Le principal est d’en admettre le principe. Par rapport au passif humanitaire, le discours de Kaédi, les différentes actions de réparation sont à saluer, de même que les récentes mesures concernant les sépultures; il faut, simplement et à chaque fois, associer les intéressés. Les résistances de l’ancien système sont encore très fortes. Le plus souvent, l’administration bloque les décisions annoncées, par incompétence, sabotage ou mauvaise volonté. L’impression est qu’on fait du surplace, si l’on ne recule pas, selon certains sceptiques, mais, à y voir de près, les choses avancent; lentement, certes, mais sûrement. La vigilance reste de vigueur, en ce qui nous concerne: nous sommes à la majorité pour encourager le président à aller plus loin, son échec serait, fatalement, le nôtre.

Selon nos informations, près d’une quarantaine d’ayant-droits recensés attendent, toujours, le versement de leurs indemnisations. La commission chargée du règlement semble traîner le pas, arguant de problèmes de «vérifications». Avez-vous obtenu des clarifications, sur ce point précis?

Non.

Vous vous battez, ardemment, pour le règlement de ce douloureux dossier. Quelle solution vous semble la meilleure pour le solder, définitivement? Pensez-vous que la dernière mesure du pouvoir, visant à établir une cartographie des lieux de sépulture de tous les mauritaniens tués, depuis l’indépendance, peut aider à le clore? Ne craignez-vous que cela ne ravive les tensions?

L’AJD/MR ne subordonne pas les réparations des préjudices matériels subis, aux devoirs de vérité et de justice, qui ne sont pas, par ailleurs, négociables. On a perdu trop de temps pour indemniser les veuves et les orphelins qui attendent depuis vingt ans. Certains sont morts, entre-temps. Dès l’instant où les préjudices sont identifiés et les ayant-droits connus, il faut procéder aux réparations. Cela va des veuves aux fonctionnaires, des commerçants aux autres victimes, civils et militaires, en passant par le problème des terres confisquées qui doivent être restituées. Viendra, par la suite, le devoir de vérité et de mémoire, l’indentification des coupables, pour déboucher sur le devoir de justice. Notre parti qui milite pour le pardon, à la manière des Sud-africains, dans le cadre d’une commission «vérité et réconciliation», estime que c’est la plus sage démarche qui présente le moins de risque de dérapage.

L’identification des lieux de sépulture est, en soi, un pas important, vers le devoir de vérité et de mémoire; loin de raviver les tensions, elle permettra de décharger les ayant-droits et parents des victimes, d’un grand poids, en leur permettant de faire le deuil des disparus et de prier sur leurs tombes.

L’actuel président de la République vous semble-t-il réellement déterminé à fermer cette parenthèse, douloureuse, de l’histoire de la Mauritanie ? Jusqu’où pourrait-il aller, au delà de la volonté politique affichée?

Si nous n’étions pas convaincus de la réalité de cette détermination, nous ne l’aurions, jamais, soutenu. Je ne suis pas naïf au point de croire que les militaires sont, totalement, dessaisis de la gestion du pouvoir. Quand le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi crut, un instant, sur les conseils de certains hommes politiques, qui le voyaient moins en homme de paille des militaires qu’en transition, concertée, de leur transition, à la fiabilité des institutions et des prérogatives que son statut lui conférait, il commit, là, l’erreur fatale. Comme nous l’avons toujours clamé, haut et fort, les militaires sont mieux placés pour régler cette question, en collaboration, bien sûr, avec les hommes politiques qui n’ont pas réussi, jusqu’ici, à prendre le pouvoir et le conserver. Cela dit, le président Ould Abdel Aziz doit négocier ce virage inévitable et nous devons l’y aider.

Une de vos préoccupations concerne la place des langues nationales (Pulaar, Wolof, Soninké) dans le système éducatif mauritanien. En avez-vous discuté avec le président, lors de vos différentes rencontres? Qu’en pense-t-il?

La question des langues nationales a, toujours, été au cœur de nos discussions. Un des points essentiels de l’accord avec la majorité concerne l’officialisation des langues nationales et leur place dans les médias publics. Il a été convenu de la nécessité de procéder à la reprise des activités de l’Institut des Langues Nationales (ILN).

La question de l’esclavage continue à faire des vagues, les Négro-mauritaniens se battent, pour plus de représentativité, au sein du gouvernement, de l’administration, des différents corps de l’armée et des forces de sécurité. Comment, dans ces conditions, le président de la République peut-il consolider l’unité nationale de ce pays, comme il le prétend? De quels atouts dispose-t-il, pour cela?

Je crois avoir répondu à cette question.

La situation politique du pays est caractérisée par une crispation des positions, entre le pouvoir et l’opposition, quand bien même les uns et les autres appellent au dialogue. Pensez-vous que les deux camps finiront par s‘asseoir autour d’une table, pour décrisper la scène politique nationale?

Le dialogue est, non seulement, possible mais indispensable. Pour permettre à l’opposition de jouer, concrètement, son rôle de contrepoids, si tel est son désir, il faut, nécessairement, que les conditions d’un débat politique serein et d’une véritable alternance soient réunies. Cela ne peut être le fruit que d’un dialogue libre de toute contrainte. Le problème qui se pose, en réalité, est de savoir pourquoi recherche-t-on le dialogue. Celui-ci vise-t-il, pour le pouvoir, à neutraliser l’opposition, en l’intégrant en son sein? Pour cette dernière, à trouver une formule de cogestion, avec le pouvoir, pour partager le gâteau? Troubles hypothèses… Si, par contre, le dialogue vise, seulement, à susciter les conditions d’une véritable alternance politique, par le biais d’un code électoral consensuel, l’accès libre aux médias publics, le respect des libertés individuelles et collectives, les deux partis doivent pouvoir trouver un terrain d’entente.

Dans une récente interview au Calame, le président Messaoud Ould Boulkheir, qui venait d’être reçu, en audience, par le président de la République, s’est dit très convaincu que le dialogue est, plus que jamais, à portée de main. Partagez-vous cet optimisme? Au passage, quel rapport entretenez-vous avec le président de votre ancien parti?

Oui, je partage cet optimisme et je me félicite que le président Messaoud, un acteur incontournable, soit favorable au dialogue politique avec le pouvoir. Quant à nos rapports personnels, cela fait belle lurette que nous ne nous sommes pas vus.

Des élections municipales et législatives sont prévues, en principe, à la fin de cette année. Est-ce que l’organisation de tels scrutins est possible, sans dialogue entre le pouvoir et l’opposition? L’AJD participerait-elle à ces élections? Que faudrait-il faire, pour organiser des élections transparentes et apaisées?

Conformément à sa ligne politique, l’AJD/MR participera à toutes les élections mais nous souhaitons qu’elles ne soient organisées qu’après un dialogue avec l’opposition

Le gouvernement de la République a lancé, il y a quelques jours, l’opération dite «enrôlement des populations». Qu’en pensez-vous? L’AJD a-t-elle été consultée ou informée? Les craintes, exprimées par certains négro mauritaniens, sont-elles justifiées, à votre avis ?

Non, nous n’avons pas été consultés, à proprement parler, mais le chef de l’Etat nous en avait, souvent, entretenu et donné des assurances, quand à la bonne marche des opérations. Mais, vous savez, comme pour toutes les autres affaires, l’administration est souveraine… Les abus et les mauvaises volontés seront au rendez-vous. Il faut rester vigilant.

Les prix des denrées de première nécessité n’arrêtent pas de flamber, en Mauritanie. N’avez-vous pas l’impression que le gouvernement parait incapable d’endiguer ce phénomène, devenu presque endémique?

L’Etat doit rechercher des solutions à long terme, en instaurant une politique visant à l’autosuffisance, en produits de première nécessité, et à l’instauration d’une véritable concurrence, pour casser les monopoles.

Propos recueillis par Daly Lam


Le Calame

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