mardi 21 octobre 2008

ENTRETIEN AVEC KHALILOU DIAGANA

Le Président de l’Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR), monsieur Ibrahima SARR, a bien voulu accorder cette interview exclusive au Quotidien de Nouakchott suite à son annonce hier du retrait de son parti de la plateforme de l’opposition Démocratique pour une sortie de crise. Cette décision a été provoquée par la nomination de trois cadres du RFD à des postes de responsabilité dans le gouvernement du Haut Conseil d’Etat. La désignation ce vendredi d’un membre du Bureau exécutif du Rassemblement des Forces Démocratiques(RFD) comme conseiller du Premier Ministre semble être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase . Entretien avec Khalilou Diagana.

Khalilou Diagana : Monsieur le Président, vous venez de dénoncer la plate-forme que vous aviez signé avec le Rassemblement des Forces démocratiques (RFD ), le Hatem, et le Mouvement pour la democratie directe (MDD) et qui constituait votre proposition commune de sortie de crise que vous avez soumise au Président du Haut Conseil d’Etat (HCE), pourquoi ?



Ibrahima Moctar SARR : En attendant que les instances du parti puissent se réunir, en ma qualité de Président de l’AJD/MR et signataire de cette plate-forme, je déclare n’être plus tenu de respecter les termes de ce protocole depuis que j’ai eu les preuves formelles que les parties prenantes ne tiennent plus le même discours par rapport à ce que doit être l’attitude de l’opposition démocratique face à la junte au pouvoir. C’est un problème de confiance et de loyauté les uns envers les autres. Dès le début de la crise, les parlementaires du RFD ont joué un rôle actif dans le bras de fer ayant opposé le Président déchu Sidi Ould Cheikh Abdallahi aux députés frondeurs. A l’époque, l’AJD/MR avait affirmé sa neutralité dans un combat qu’elle estimait bien loin de ses préoccupations.

Après la prise du pouvoir par les militaires, le RFD est restée sur sa lancée en soutenant la junte par des manifestations en faveur des putschistes, pendant que l’AJD/MR donnait consigne à ses militants de ne prendre parti ni pour Sidi ni pour les Généraux.

Nous avons malgré toutes ces nuances, œuvré avec tous les partis membres de l’institution de l’opposition démocratique (AJD/MR ,HATEM, MDD, RFD) pour qu’une attitude commune puisse être arrêtée afin de favoriser un retour rapide à la légalité constitutionnelle. Cette volonté forte de dépasser nos différences pour faire bloc et parler d’une même voix tout en respectant nos spécificités est matérialisée par notre déclaration sortie dès le lendemain du coup d’Etat.

Et le 16 août, on signait une plate-forme en trente cinq points pour une sortie de crise. Celle-ci comportait en son sein trois points de rupture, c’est-à-dire des conditions qui si elles n’étaient pas satisfaites, interdisaient toute entrée dans le gouvernement du Haut Conseil d’Etat.

L’AJD/MR exigeait le règlement du passif humanitaire pendant la période de transition. Le RFD posait comme préalables une durée de la transition n’excédant pas 1 an et l’interdiction de la candidature des militaires en activité au 6 aout 2008 de se présenter à la prochaine élection présidentielle.

Le HATEM et le MDD n’avaient pas de points de rupture.
Le HATEM allait par la suite tenir une conférence de presse pour annoncer sa participation au gouvernement avant même que nos propositions pourtant ratifiées par son Président ne soient remises au HCE.
Ces quatre partis, conscient que leur unité était un élément structurant face aux militaires en soif de légitimité, avaient scellé un pacte de solidarité : s’il y avait un point de rupture non satisfait, tous refuseraient de participer au gouvernement.

Lorsque le Président du HCE nous a donne sa réponse en disant qu’il était globalement possible de s’entendre sauf sur les deux points de rupture du RFD, nous nous en sommes strictement tenus aux termes du pacte et décliné poliment la participation au prochain gouvernement.

L’AJD/MR, bien que le règlement du passif humanitaire demandait encore quelques clarifications, a respecté sans aucune hésitation son engagement envers ses partenaires, malgré la défection de HATEM. Et tout allait bien jusqu’au moment ou avec les dernières nominations, nous avons eu la preuve formelle que le RFD était bel et bien impliqué dans la gestion du pouvoir.


Q.D.N : Et pourtant depuis le début, des rumeurs très persistantes avaient fait état de cette implication…
I.M.S : Les rapports entre les partis ou les leaders des formations politiques ne doivent pas être basés sur des rumeurs ou des soupçons. En son temps nous avons saisi le Président du RFD pour lui demander des précisions, notamment après la formation du gouvernement du HCE. Son parti avait décidé d’exclure tout cadre ou militant coopté par la junte et il nous avait assuré que le RFD n’était nullement impliqué dans la gestion du pouvoir. Bien au contraire, les militaires usaient de tous les subterfuges pour déstabiliser son parti, en débauchant dans ses rangs par des promesses alléchantes de postes de responsabilité.

Nous l’avons cru sur parole car, encore une fois, il s’agit d’une question de confiance et de loyauté.
Cette fois-ci, il ne s’agit pas de rumeurs. Trois grands cadres du RFD viennent d’être nommés à des postes de responsabilité :
- Monsieur Sadava ould Cheikh el Hussein, nommé conseiller du Premier Ministre. Il est membre du Bureau Exécutif du RFD et chef du Département chargé des Relations avec le Gouvernement au sein de l'institution de l'opposition;

- Monsieur Ismael Ould Bodda Ould Cheikh-Sidia, nommé Directeur de l'Etablissement pour la Réhabilitation et la Rénovation de la Ville de Tintane;

- Monsieur Sidi Mohamed Ould Mayaba, nommé Directeur de l'Institut Supérieur des Etudes et des Recherches Islamiques (ISERI);
Amar ould Rabah, Président du MDD et moi-même avons rendu visite au Président Ahmed ould Daddah le 18 octobre pour avoir une fois de plus ses explications. Il nous a fait savoir que c’est une décision de son parti d’accepter toutes les nominations de l’Etat exceptées les fonctions ministérielles. Que c’est un droit pour tout mauritanien d’être nommé et qu’il n’entendait pas s’y opposer. Qu’il avait été bien averti de la nomimation de monsieur Sadava ould Cheikh el Hussein au poste de conseiller du Premier Ministre et qu’il avait donné son accord.
Nous lui avons fait remarquer que si on pouvait accepter la nomination aux deux postes de Directeurs, il en va autrement pour monsieur Sadava qui est membre du Bureau Exécutif de son Parti et Directeur du Département chargé des Relations avec le Gouvernement au sein de l’institution de l’opposition. Le poste de conseiller du Premier Ministre est éminemment politique et cette implication dans la gestion du pouvoir fragilise notre coalition dans ses propositions pour une sortie de crise. Nous nous sommes étonnés devant lui que les nominations ne concernent que les éléments de son parti, non ceux du MDD, pas même certains frondeurs de l’AJD/MR qui ont frappé des pieds et des mains pour se rapprocher du pouvoir. Pas les membres du Front National pour la défense de la Démocratie (FNDD), qui malgré leur opposition à la junte sont tout de même des cadres mauritaniens ayant le même droit que les promus RFD.
Nous avons également évoqué avec le Président du RFD les initiatives qu’il a prises pendant sa tournée à l’Extérieur pendant laquelle il a plaidé la levée des sanctions contre la Mauritanie. Personnellement je lui ai fait savoir que ce n’était pas notre rôle. Le HCE n’ayant pas accepté les propositions de l’opposition démocratique doit assumer seul la responsabilité des conséquences d’un tel embargo. Nous ne sommes pas de ceux qui les réclament, mais nous ne devons pas être les pompiers du HCE.

C’est fort de tout cela que j’en suis arrivé à la conclusion que la plateforme rédigée par l’opposition afin d’éviter la reproduction des erreurs de la 1ère transition ratée n’était plus une référence après la dégradation du climat de confiance qui prédominait jusque là au sein de la coalition AJD/MR-MDD-RFD.
Et l’AJD/MR, tout en restant ferme et cohérente avec sa position prenant acte du coup d’état du 6 août 2008, continuera d’interpeller les nouvelles autorités pour la création des conditions nécessaires à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, garantissant la paix et éloignant durablement du chemin de l’instabilité.

Q.D.N : Vous voulez dire que vous rejoignez le FNDD ?

I.M.S : Absolument pas ! J’estime que même si l’ensemble de la communauté internationale et une bonne partie de l’opinion nationale réclament le rétablissement de Sidi ould Cheikh Abdallahi ne serait-ce que pour signer sa démission, une telle chose me semble irréaliste et ne peut en aucun cas favoriser une issue apaisée à la crise

Q.D.N : Votre retrait de la plateforme de l’opposition remet-il en cause l’institution de l’opposition dont vous êtes le Secrétaire Général ?

I.M.S : L’institution de l’opposition est une émanation de l’Etat qui l’a mise à disposition de l’opposition démocratique, c’est-à-dire l’opposition qui reconnaît le pouvoir en place. Jusqu’à preuve du contraire nous nous réclamons de l’opposition démocratique. L’institution vient de se doter d’un programme ambitieux pour l’ancrage de la démocratie, elle envisage de prendre une initiative pour permettre aux mauritaniens de se rencontrer et discuter. Sur tout cela nos partis partis respectifs peuvent travailler ensemble, chacun assumant ses propres responsabilités. Mais les accords avec les partis politiques sont d’un autre ordre, et chaque parti – en tous cas l’AJD/MR – entend s’assumer pleinement.

Q.D.N : Et les militaires ?

I.M.S : Les militaires doivent retourner rapidement dans les casernes et s’éloigner définitivement du champ de la politique. Mais il faut qu’ils règlent certaines questions essentielles qu’un Président civil résoudrait plus difficilement. Je pense au passif humanitaire par exemple, dont le règlement définitif est indispensable pour la consolidation de l’unité nationale. Je salue au passage la reconnaissance aujourd’hui même par l’Etat guinéen du génocide de près de 50 000 personnes, le sinistre camp Boiro sera érigé en mémorial.

Vous savez, comme je l’ai toujours dit, le vrai problème se trouve pas chez les militaires mais les politiques qui ne veulent pas s’entendre sur l’essentiel. Ils veulent le pouvoir et ne sont pas prêts à payer le prix que cela réclame. Tant que les politiques continueront à agir comme ils ont toujours fait, les militaires seront toujours là pour exploiter leur incapacité à conduire les affaires du pays. Souvenez-vous, ce sont eux qui ont fait les beaux jours de tous les régimes militaires, en particulier celui de Maaouiya ould Sid’Ahmed TAYA, ce sont eux qui avaient donné carte blanche au Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) pour faire sa mauvaise transition origine de tous les maux que nous vivons actuellement ; Ce sont eux qui ont empêché l’alternance politique en mars 2007 et ce sont eux aujourd’hui, qu’il soient d’un bord ou de l’autre, qui sont en train de rater cette nouvelle transition forcée.

Q.D.N : Accepterez-vous la candidature d’un membre du HCE à l’élection présidentielle ?

I.M.S : Comme je l’ai dit plus haut, la non candidature des militaires en activité au 6 août 2008 était un point de rupture du RFD, pas de l’AJD/MR. Je vous ai aussi dit que la place des militaires est dans les casernes, ils ne doivent plus interférer dans la politique. Cependant, la décision finale sera prise par mon parti lorsque ses instances seront en mesure de se réunir régulièrement.



Q.D.N : Vous faites allusion à la crise au sein de l’AJD/MR. N’est-ce pas à cause d’elle que vous quittez la plateforme signée avec le Président Ahmed ould Daddah pour balayer l’accusation d’être inféodé au RFD ?

I.M.S : Loin s’en faut. Si les événements dont je viens de vous entretenir ne s’étaient pas produits, je n’aurais pas eu cette réaction malgré la crise au sein de mon parti qui a atteint un point de non retour.
Cette crise interne a trois composantes qui se sont fédérées pour abattre l’ennemi commun : le Président du parti.

1) En premier lieu, les éléments infiltrés d’autres partis politiques qui sont contre notre ligne politique de réconciliation nationale et veulent nous ramener vers un radicalisme rugueux et dépassé, saper les bases du parti et fragiliser les positions du Président et récupérer le parti au profit de leurs commanditaires

2) Des entristes coûte que coûte au pouvoir qui devant la décision du parti de ne pas entrer dans le gouvernement du HCE, font des pieds et des mains , appuyés par certains milieux proches du pouvoir, pour amener l’AJD/MR à s’impliquer dans le gouvernement sans conditions. L’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale après les journées sur la démocratie prévues par la junte a aiguisé leur appétit.

3) Et enfin, viennent les irréductibles contestataires de toute autorité qui pensent que la discipline n’est pas une bonne recette pour le travail en groupe, ils s’accommoderaient bien d’un homme de paille (rires).

Ces trois groupes chacun en ce qui le concerne est allé jusqu’à la limite de la forfaiture et ils ont trouvé comme point d’ancrage commun la contestation de l’autorité du Président. Jusque là, ils ont même réussi à bloquer le fonctionnement du bureau Politique. Le conseil national qui est l’organe de règlement des conflits au sein du Bureau Politique se réunira très prochainement pour tenter de débloquer la situation sinon ce sera certainement un congrès extraordinaire qui décidera de l’avenir du parti.

Q.D.N : En tant que Président, que pouvez-vous faire pour sauver ce parti ?

I.M.S : Appliquer les décisions pour le respect de la discipline au sein du parti et le respect de la ligne du parti.

Q.D.N : On vous accuse d’un dirigisme tendu et d’une gestion opaque des fonds, que répondez-vous à cela ?

I.M.S : Depuis sa création le 19 aout 2007, l’AJD/MR n’a jamais reçu une subvention de l’Etat car n’ayant pas participé aux dernières élections municipales et législatives. Le parti n’a pas encore achevé son implantation, les quelques cotisations des membres du Bureau Politique couvrent à peine les factures d’eau et d’électricité et les frais de gardiennage. Alors où sont les fonds à gérer ?
La location du siège coûte 140.000 UM par mois. A ce jour, nous n’avons aucun arriéré de loyer et toutes les factures sont payées. Le siège a été entièrement réfectionné et équipé. Le Président que je suis s’est débrouillé pour amener certains cadres nationaux qui parfois veulent garder l’anonymat à apporter leurs contributions pour aider le parti à vivre. Nos sections en Europe et en Amérique ont repris le relais ces derniers temps. De tout cela, au moins 2 Vice Présidents, le Secrétaire Général et le Trésorier Général sont amplement informés.
Quand à la première partie de votre question, je pense plutôt que le prochain congrès doit renforcer les pouvoirs du Président car l’excès de démocratisme dans la prise de décision est un facteur bloquant.

Q.D.N : Votre parti participera-t-il aux journées nationales de concertation sur la Démocratie ?

I.M.S : Si c’est pour avaliser à l’applaudimètre les propositions des parlementaires favorables à la junte, en remplissant la salle de partis cartables et de sociétaires civils qui ne représentent qu’eux-mêmes, nous préférons rester en dehors de cette mascarade. Le HCE aurait du préparer ces journées en conviant les partis politiques représentatifs pour ébaucher une solution politique. Et ouvrir ensuite un véritable débat national pour discuter des problèmes de fond. A défaut, on reproduira fatalement les erreurs du CMJD.

Propos recueillis le 20 octobre 2008 par Khalilou Diagana – Quotidien de Nouakchott


dimanche 19 octobre 2008

LA PLATEFORME DE L’OPPOSITION NE TIENT PLUS

Trois hauts cadres du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) ont été récemment nommés par le gouvernement du Haut conseil d’Etat à des postes de responsabilité :


  • monsieur Sadava ould Cheikh el Hussein, nommé conseiller du Premier Ministre. Il est membre du Bureau Exécutif du RFD et chef du Département chargé des Relations avec le Gouvernement au sein de l'institution de l'opposition;



  • monsieur Ismael Ould Bodda Ould Cheikh-Sidia, nommé Directeur de l'Etablissement pour la Réhabilitation et la Rénovation de la Ville de Tintane;



  • monsieur Sidi Mohamed Ould Mayaba, nommé Directeur de l'Institut Supérieur des Etudes et des Recherches Islamiques (ISERI);


Interloqués, monsieur Amar ould Rabah, Président du Mouvement pour la Démocratie Directe et moi-même, avons rendu visite hier (18 octobre 2008) à monsieur Ahmed ould Daddah , Président du RFD, pour nous édifier sur ces nominations.

Le Président du RFD nous dit être au courant de ces nominations qu’il n’a pas suscitées, elles ne sont pas incompatibles avec les orientations de son parti qui accepte toutes les accessions à des postes non ministériels dès lors que les cadres qui en bénéficient ont les compétences requises.

Nous lui avons rétorqué que le poste de conseiller du Premier Ministre était éminemment politique, l’accepter c’était fouler du pied la plateforme en 35 points signée le 16 août dernier par les quatre partis de l’opposition démocratique (AJD/MR, HATEM, MDD et RFD) et soumise aux nouvelles autorités.

Deux points essentiels n’ayant pas été satisfaits par le HCE (transition n'excédant pas 1an, non candidature des militaires en activité au 6 août 2008 à la prochaine élection présidentielle), nous avons décidé de rester dans l’opposition, sauf HATEM qui a fait faux bond en décidant d'accompagner les militaires dans leur transition malgré les engagements contractés avec nous.

L’attitude du RFD, inopportune au moment où le HCE refuse de plier à tous les appels pour un retour rapide à la légalité constitutionnelle, fragilise considérablement la coalition AJD/MR-MDD-RFD.



En conséquence, je déclare au nom de mon parti, que nous ne sommes plus liés par la plateforme. L’AJD/MR, cohérente avec sa position prenant acte du coup d’Etat du 6 août 2008, fera de nouvelles propositions de sortie de crise avec comme seul guide l’intérêt supérieur de la Mauritanie.



Nouakchott le 19 octobre 2008
Ibrahima Moctar SARR
Président de l’Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la Rénovation